A propos de la codification du statut des fonctionnaires
Selon le magazine Acteurs Publics : « 1 383 articles. C’est ce que devrait contenir le futur code général de la fonction publique (CGFP) que le gouvernement doit acter par ordonnance d’ici fin de l’année conformément à la loi de transformation de la fonction publique du 6/8/ 2019. Un véritable serpent de mer qui est donc en passe d’aboutir après de multiples tentatives au cours des dernières décennies ».
Le projet de codification qui sera imposé par une ordonnance, dont la signature est prévue en fin d’année constitue le cœur de la loi de Transformation, puisqu’il s’agit là d’une mesure pour dissoudre le statut général et ses différents titres… et les « transformer » en autre chose. Nous en voulons pour preuve que dès le 1er article Art L-1, il est annoncé que « Le présent Code constitue la statut général de la Fonction Publique » ce qui annule l’article 1 de la loi du 13 janvier 1983 portant statut général des f onctionnaires.
Sans aborder dans le détail les documents présentés aux organisations syndicales par la DGAFP (documents que la fédération tient à la disposition des syndicats), cette note vise à revenir sur quelques questions fondamentales, et donner les éléments pour alerter sur le caractère particulièrement dangereux pour les territoriaux du projet de codification.
La DGAFP a précisé que le projet proposé aujourd’hui serait une réécriture à droit constant du statut. En quelque sorte, il s’agira d’un code pour les DRH afin de « faciliter, simplifier la compréhension et utilisation des textes RH ». Cette codification « entrainera de facto l’annulation de la loi Le Pors ». Tout doit être fait avant le 4 décembre. La DGAFP souhaite aller vite pour proposer un document au CCFP avant fin septembre. Il s’agirait de « négocier », en fait de demander aux organisations syndicales de superviser la réécriture des textes. Le texte de réécriture devrait faire 400 pages. La réécriture à « droit constant », loin d’être neutre permet en fait, juridiquement, la création d’un « droit nouveau » et c’est bien de cela qu’il s’agit : passage d’un statut des fonctionnaires à un code de la Fonction publique pulvérisant le socle simple posé en 1983 : dispositions générales, garanties, carrières et Obligations. Nous en voulons aussi pour preuve que ce Code inclut « en ce qui les concerne » les agents contractuels qui par essence ne sont pas des fonctionnaires.
Selon le plan présenté par la DGAFP, le code comprendra 9 livres thématiques : « droits, obligations et protections » ; « dialogue social » ; « recrutement » ; « politiques des ressources humaines » ; « parcours professionnels » ; « temps de travail » ; « rémunération et avantages divers » ; « prévention et protection en matière de santé et de sécurité au travail » et enfin un livre relatif aux « dispositions particulières à certains emplois ».
Aujourd’hui nous avons un statut. Pourquoi un statut des fonctionnaires et pas un code de la Fonction publique ?
La différence entre code et statut n’est pas une simple question de vocabulaire. Les deux mots sont souvent improprement présentés comme des synonymes sur les sites spécialisés en définition sur internet…
D’abord, depuis 1946, il existe une organisation des personnels publics qui est fondée sur des statuts. Cette appellation fait partie de notre ADN. Elle est enracinée dans le vécu des personnels. : Il n’est pas inutile de revenir sur la question de pourquoi avoir organisé la fonction publique selon des statuts ce qui est au cœur de tout notre système : « les agents au service des employeurs publics se sont vus imposer un régime juridique particulier parce que ces agents sont soumis à des sujétions particulières dérogatoires du droit commun du travail » Gauthier Jamais, avocat, octobre 2018. Le statut des fonctionnaires est d’abord une protection des citoyens. En protégeant les fonctionnaires de l’arbitraire, il évite l’instrumentalisation de l’administration à des fins partisanes par un pouvoir politique quelconque. Pour « transformer » la fonction publique, il faut également l’expurger de toutes les références anciennes, et l’on sait tout l’amour que Macron porte à la notion de statuts. N’oublions pas que la loi TFP et le projet de loi 3DS entrent dans le cadre de la « révolution copernicienne » de Macron…
Un statut sur le plan du droit, vise à regrouper une ou plusieurs lois organisant la situation professionnelle d’un groupe de personnes déterminé. A l’inverse un code vise à regrouper dans un recueil une ou plusieurs règles normatives (Lois, décrets, arrêtés…) relative à une matière spéciale (Code civil, Pénal, de la route, du Travail…). De ce fait, il s’applique de façon générale aux citoyens, aux salariés, aux automobilistes… L’exemple le plus ancien est le code civil napoléonien.
C’est pourquoi on parle d’un statut des personnels et d’un code des collectivités. On ne parle pas de statut pénal, mais de code pénal. On ne parle pas de statut du travail, mais de code du travail (parce qu’il s’agit de regrouper toutes les lois et jurisprudences relatives aux conditions de travail, aux relations de subordination entre salariés et patrons. Par contre, pour gérer les salariés dans l’entreprise, il y a les conventions collectives qui fonctionnent comme un statut…).
Il convient ici de préciser un point : Il y a bien aujourd’hui un Code de la Fonction publique, mais il s’agit d’un recueil des lois et règlements portant statut des fonctionnaires, qui regroupe les 4 lois fondamentales portant statut des fonctionnaires (Droits et Obligations pour tous, FPE, FPT et FPH). On nous dit que les dispositions actuelles qui sont « complexes et dispersées, seront désormais réunies dans un code, qui proposera, à droit constant1, de nombreuses simplifications rédactionnelles dans un esprit d’accessibilité, de lisibilité et de transparence », or tout cela est mensonger puisqu’elles sont déjà regroupées dans un « code » au premier
« Dans son acception traditionnelle, la codification à droit constant se distingue de la codification de plein exercice par l’absence de pouvoir normatif. Simple compilation de textes existants, elle n’aurait pas d’incidence sur la substance des règles qu’elle codifie. En réalité, elle est loin d’être neutre et la faculté qui lui est aujourd’hui reconnue « d’harmoniser le droit » et d’assurer la « cohérence rédactionnelle » des textes favorise la création d’un droit nouveau. Parfois, cette action normative est involontaire. Elle s’explique alors par une limite formelle de la codification à droit constant que la doctrine a déjà amplement souligné : son incapacité à intégrer la jurisprudence (…) Quant à l’harmonisation du droit, elle donne au codificateur un pouvoir de d’abrogation comparable à celui qui procède d’une codification de plein exercice9. Le Gouvernement écarte non seulement les dispositions recodifiées ou celles qui sont expressément abrogées, mais encore celles qui auraient fait l’objet d’une abrogation implicite ou même d’une abrogation par désuétude. Il opère ainsi une sélection dans le droit existant sans reprendre l’ensemble des textes en vigueur avant la codification (…) »1 Qu’est-ce que le droit constant ? Afin d’être le plus explicite possible, nous nous sommes reportés à l’étude juridique, de Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé à l’université Paul Valéry de Montpellier (2017) :
La réécriture nécessairement impliquera une interprétation codifiée, donc des jurisprudences figées dans le marbre, qui ne seront plus appréciées par un juge administratif, garant de neutralité, mais par un service RH, donc directement par l’employeur. Ainsi, une loi mal conçue peut-être enrichie par une jurisprudence positive, mais la codification impose une appréciation figée de la jurisprudence. Le juriste indique que dans ce cas, si « la rédaction est plus claire, la règle substantielle est plus confuse. Il en résulte la création souvent involontaire de nouvelles normes »… involontaire, ou pas !
sens du terme. Un exemple de simplification : le Code de l’Education nationale est devenu Code de l’Education (la disparition de la dimension nationale plaçant sur un pied d’égalité le public et le privé, au détriment progressif du public…). Pour le gouvernement, dans la droite ligne des critères de l’Union européenne, la simplification, c’est la mise sur un pied d’égalité entre le public et le privé. On connait la suite.
Opter pour un Code de la Fonction publique, cela signifie que l’on entend organiser, encadrer, une fonction publique adaptée et adaptable aux orientations et choix politiques et donc financiers du gouvernement, lui- même aux ordres des règles normatives européennes (cadre de la loi 3DS). Cela est très net dans le choix hiérarchique du Plan décidé pour l’écriture de ce Code.
A contrario, le statut lui vise à donner un cadre protecteur pour permettre aux fonctionnaires d’assurer leurs missions particulières de service public. La différence est bien majeure. D’une relation statutaire nationale, on passera à une relation contractuelle locale entre les employeurs et les salariés, les fonctionnaires. D’où l’introduction dans ce nouveau Code d’un Livre II consacré au Dialogue social.
Dans ce nouveau système, l’emploi est distinct du grade, donc toute la responsabilité est renvoyée à l’employeur alors qu’actuellement c’est le grade qui est distinct de l’emploi.
Dans le premier cas, ce sont les emplois publics qui sont couverts par la loi (donc affirmation dans le code d’une fonction publique de métiers). Dans le second cas, le nôtre actuellement, ce sont les individus occupant ces emplois qui sont couverts par la loi (fonction publique de carrière, donc indépendance du fonctionnaire). Là encore, nous voyons que ce nouveau Code transforme le droit à « Carrière » posé par le statut, par un Livre IV appelé « Politiques des ressources humaines ». Le pluriel de « politiques » est révélateur du fait que ces politiques de gestion seront de fait laissées au choix des collectivités.
De même un Livre V est consacré aux « Parcours professionnels » qui abroge de fait le déroulement de carrière statutaire conçu pour être égalitaire et national.
Oui nous avons raison de l’affirmer haut et fort dans l’appel du CNF de mai 2021, la codification c’est la fin des droits collectifs attachés à la personne : « La loi dite de transformation de la Fonction publique entend bien transformer, c’est-à-dire changer la nature de la Fonction publique territoriale. Le gouvernement prévoit pour la fin d’année de faire passer une ordonnance portant « codification » du statut. Le passage du statut à un code, c’est le passage des droits collectifs attachés à la personne à des pseudos droits renégociables attachés à la collectivité ou à l’administration. La transformation du statut en code c’est la fin du droit à la carrière, aux avancements, la fin des commissions de réforme, la fin de nos instances paritaires, c’est la fin du Conseil supérieur de la Fonction publique territoriale, c’est l’ouverture à marche forcée à la mise en concurrence entre les salariés, les contractuels, les fonctionnaires. » Extrait de l’appel du CNF.
Aujourd’hui en matière de gestion du personnel, la libre administration des collectivités est mise en oeuvre dans le cadre du respect du statut (c’est souvent théorique, il faut se battre partout, mais la question n’est pas là).
Le fondement du syndicalisme, c’est la défense des travailleurs, de leurs conditions de travail, des intérêts matériels et moraux. C’est pourquoi la CGT a toujours revendiqué un statut et une loi d’application. Avec un code, le principe d’égalité disparaît lui aussi.
Prenons garde à un autre aspect : le statut et la loi permettent d’organiser un rapport de force national parce qu’il y a identité de traitement (même point d’indice). L’application de la loi peut être interprétée, rectifiée par le juge, il s’agit de la jurisprudence qui a un impact national, le code laissera (immanquablement) toute la latitude pour imposer des chartes locales.
La table des matières du nouveau code montre bien un démembrement complet de la structure de la loi de base de 1983. Le nouveau plan établit de fait d’autres normes, contenues dans des lois que la CGT a toujours refusées, et que l’on ne saurait donc maintenant accepter dans le cadre de ce nouveau code, qui institue une gestion qui ne sera plus nationale et égalitaire.
Le camp d’en face cherche à mettre au pas les organisations syndicales, en faire les rouages « sociaux » de ses plans d’ubérisation de la société. Prochaine étape : la révision prévue du décret de 1985 sur les droits syndicaux.
Comprendre pour agir : nous ne pouvons qu’inviter les syndicats de la fédération à mettre à l’ordre du jour de leurs instances, la discussion de cette note.